Préface

extraite du recueil

La figure du zombie, s'éloignant de ses origines haïtiennes, est bien souvent arrivée dans nos référents culturels par le biais du cinéma populaire nord-américain. Ces films, délaissant la dimension mystique et magique du vaudou, utilisent les morts-vivants pour faire peur, mais aussi pour exprimer une critique de nos sociétés consuméristes et inégalitaires.

Après une orgie d'éviscérations sur grand écran, je me suis penchée sur « la littérature de zombies ». Malheureusement, dans notre contrée hexagonale, les textes sont peu nombreux (voire vraiment peu nombreux) et surtout, ils ont pour la plupart le même défaut que beaucoup de films : les héros sont majoritairement des hommes blancs hétérosexuels et les femmes, zombifiées ou non, sont des éléments du décor (la blonde à gros seins... que l'on retrouvera morte-vivante, les appâts en putréfaction, illustration d'un éros et thanatos en culotte de lycra) ou de simples « outils narratifs », (la mère martyre, l'amante à secourir, la bimbo avide de produits de consommation...) bien utiles pour que le héros, le vrai, puisse montrer ses qualités, exprimer son désespoir ou son espérance d'un ailleurs, d'un futur, symbolisé par un ventre féminin fécondé...

Désappointée par l'inspiration si « traditionnelle » du peu de lecture à disposition, j'ai eu envie d'y remédier, vite rejointe par Djuls, en lançant ce projet de recueil de nouvelles.

Plus qu’un geyser d’hémoglobine dégueulasse, plus que des gros plans de tripes en chapelet et de blonde faire-valoir hurlant dans un coin sombre, nous avions en tête de produire une critique sociale sur fond de réflexion philosophique, avec pour postulat de départ : si femme-zombie il y a, qu'un vrai personnage elle soit.

Douze auteurEs ont répondu à l'appel et ont donné vie à leurs propres zombies. 

Seize illustratrices et teurs ont rejoint le projet et une bande-son mortelle est finalement venue s'ajouter à tout le reste.

Les zombies qui vous attendent ici sont laids… morts… vivants… plus ou moins doués de pensée… Et si l'influence du cinéma nord-américain est présente dans les textes, nous avons l'espoir d'avoir réussi à pervertir (un peu) le genre : nos zombies ne sont pas tous masculins, pas tous adultes et rarement straight… Nos zombies sont parfois solitaires, parfois amoureusEs. Nos zombies baisent, haïssent, aiment, dévorent, ricanent, piègent, luttent, se font avoir... Parfois, ils semblent absents, inexistants… mais ils sont là, pourtant, sournois et déguisés en histoire d’amour morte-née, étouffé sous les congères de souvenirs glaçants.

Ce n’est pas pour rien si le recueil s’ouvre juste après minuit et se clôt au petit matin. « Pendant que vous dormez », il se passe des choses effrayantes, affligeantes ou même fatales. On l’oublie parfois et le réveil peut s’avérer plus difficile que prévu, le goût du café plus amer que jamais et l’avenir plus sombre encore que la nuit.
Le décompte du temps qui vous reste est une préoccupation assez répandue parmi les zombies ; pendant que vous dormez, engourdiEs de bien-être et d’habitudes, d’autres prennent les rênes, rationnent vos espoirs, vos droits et vos libertés… et bientôt, la zombification générale a remplacé la grève .

Mais de la pourriture naît le meilleur des engrais... et pour s'épanouir, la fleur de lotus a besoin de plonger ses racines dans la fange. Qu'est-ce qu'un zombie sinon un être sans espoir qui lutte contre la mort ? Et un zombie seul est un messager : il annonce tous les autres, unissant leurs forces pour obtenir ce dont ils ont besoin.

Certains de ces zombies sont vos renoncements, vos soumissions, vos vies mornes et sans buts autres que ceux qu’on vous vend. Mais d'autres sont vos ferments de révolte, vos rebellions sanglantes en gestation. Tous en tout cas semblent couver une colère montante, un grondement inquiétant…

Quand la vie semble ne plus valoir le coût demandé, que reste-t-il comme perspective ? Le simple retour en magasin, le vol par effraction ou le saccage pur et simple ? Aucune des options proposées par nos morts-vivants n’est en tout cas la lettre de réclamation au service après-vente.

Alors bonne lecture. Et pensez à garder les yeux ouverts.

 

 

La Pétroleuse